GÉRER DURABLEMENT LA FORÊT DRÔMOISE POUR BÂTIR LA RESSOURCE FORESTIÈRE DE DEMAIN

Avec ses 339 000 hectares de forêt, la Drôme est le 2ème département le plus boisé de la Région Auvergne Rhône-Alpes. Ici, la surface forestière recouvre plus de la moitié du territoire (alors que la moyenne nationale n’est que de 30%) avec 3 essences prépondérantes : le pin sylvestre, le chêne pubescent et le hêtre. Pour assurer une gestion durable de ce « poumon vert », plusieurs structures d’accompagnement travaillent en synergie : l’interprofession Fibois Drôme-Ardèche, l’association des Communes Forestières, et 2 établissements publics : l’ONF (Office National des Forêts), responsable des 27% de forêts publiques drômoises, et le CNPF (Centre National de la Propriété Forestière), en charge des quelques 40 000 propriétaires privés, soit 73% des forêts du département. Une gestion d’autant plus importante quand on connaît les enjeux de réduction de l’effet de serre liés à la forêt. Rencontres croisées avec Stéphane Grulois, Ingénieur Territorial Drôme Ardèche au CNPF, et Alain Fonton, directeur de l’agence Drôme-Ardèche de l’ONF…

Quel est le rôle de vos deux structures ?

Stéphane Grulois (SG) : La principale mission du CNPF est d’assurer la promotion des documents de gestion durable des forêts auprès des quelques 40 000 propriétaires privés drômois et de représenter leurs intérêts dans les différentes instances. Ils peuvent nous consulter pour du conseil, de la formation, l’élaboration des documents… Nous effectuons aussi de la R&D sur le changement climatique.

Alain Fonton (AF) : Plus connu par le grand public, l’ONF gère les 27% de forêts publiques drômoises, qu’elles appartiennent à l’État (dites « domaniales ») ou aux collectivités (communes ou départe-ment). Le Code Forestier impose la gestion par l’ONF des forêts des collectivités, dès lors qu’elles sont susceptibles d’exploitation régulière et ceci afin d’assurer une gestion durable de la forêt publique française.

Que signifie une « gestion durable de la forêt » ?

SG : Il peut s’agir de travaux pour rendre la forêt pérenne, produire des biens économiques, préserver la biodiversité, les paysages, etc. En France, la tradition est celle d’une forêt multifonctionnelle, autrement dit sans spécialisation. La gestion forestière permet d’offrir différents services « écosystémiques » et la règlementation française cadre les choses. Par exemple, dans les forêts sans document de gestion durable, aucune coupe rase supérieure à 4 hectares n’est possible sans autorisation de la DDT (Direction Départementale des Territoires).

Comment cette gestion est-elle mise en application ?

SG : Depuis le 13 juillet 2023, un document de gestion durable doit être établi pour toutes les propriétés de plus de 20 ha, contre 25 ha auparavant. Celui-ci décrit les conditions naturelles dans les-quelles pousse la forêt, quels sont les peuplements forestiers et les orientations à prendre. Il dé-bouche sur un programme de travaux sur une période allant de 15 à 20 ans. À ce jour, dans la Drôme, 11 000 ha sont couverts par un tel document, sur les 247 000 ha de forêts privées. La difficulté réside dans la possibilité de sensibiliser les propriétaires forestiers puisque 80% d’entre eux possèdent moins de 4 hectares.

AF : Côté public, la gestion forestière repose sur des plans de gestion d’une durée de 20 ans. Là aussi, le document prévoit un bilan de la forêt, des objectifs et un plan d’actions (coupes d’amélioration, de régénération, travaux forestiers, études, etc.). Nous le préparons en collaboration avec la collectivité pendant environ 1 an. L’ONF se charge de la partie technique, administrative et financière puisque nous allons jusqu’à vendre le bois des parcelles qui passent en coupe. In fine, la recette va à la collectivité. Entre 3000 et 8000 hectares de forêt sont couvertes chaque année par ces plans d’aménagements forestiers en Drôme Ardèche.


De quelle manière vous soutient le Département ?

SG : La Drôme finance certaines opérations sylvicoles telles que le renouvellement des peuplements par le reboisement ou l’enrichissement des renouvellements naturels. Cela se produit notamment lorsque le produit de l’exploitation est trop faible pour imaginer un investissement. Face à des peuplements en difficulté climatique, le renouvellement naturel ne suffit pas et il faut recourir à un boisement artificiel… Pour cela, le propriétaire peut prétendre à près de 80% de financements publics : 20% du Département et 60% de la Région. D’autres dispositifs sont éligibles à un soutien financier du Département. C’est le cas des opérations d’améliorations des peuplements (dégage-ment, élagage, etc.) ou de conversion. Jusqu’à présent nous travaillions en futaie régulière, autre-ment dit avec des arbres du même âge, menés jusqu’à la coupe rase. Désormais, la sylviculture est plus fine avec des arbres de différentes générations, prélevés de manière plus progressive avec un couvert forestier continu qui préserve beaucoup plus les milieux. Le Département aide au marquage des arbres qui permet d’irrégulariser les peuplements. Autant d’actions que les propriétaires n’entreprendraient pas sans incitation financière.

AF : Le soutien du Département est également très fort vis-à-vis des forêts publiques. En complément de la Région, des aides financières sont proposées pour les travaux sylvicoles sur les régénérations naturelles (30% du Département et 30% de la Région). Des études sont menées sur les pro-jets de dessertes forestières, notamment dans les massifs mal desservis et difficiles d’accès. Et des journées de développement sont organisées en collaboration avec le Département autour de différentes thématiques : appui au montage des dossiers sylvicoles, aide à l’acquisition des parcelles forestières par les communes, aide à la protection de la forêt contre les risques incendie, etc. Nous avons noué une belle relation de partenariat avec le Département.

Un mot sur le projet LIDAR mené conjointement par l’ONF et le CNPF…

AF : Il s’agit d’expérimenter un outil innovant d’aide à la décision via la technologie LIDAR, une télédétection par laser qui permet d’obtenir des données inédites sur l’organisation spatiale et la structure des forêts. Un périmètre de 201 placettes d’expérimentation en forêt publique et 110 placettes en forêt privée a été retenu autour du massif du Royans, du Vercors drômois et du secteur de Lus-la-Croix-Haute. D’ici un an, nous devrions disposer d’une base de données complète (modèle numérique de terrain, simulation de la hauteur des peuplements…) en haute résolution afin d’améliorer nos connaissances, la gestion durable des forêts et d’orienter nos efforts vers les massifs intéressants. Le Département a subventionné cette étude à hauteur de 70 K€.

Le visage de la forêt drômoise est-il condamné à changer dans les prochaines décennies ?

SG : Effectivement, le changement climatique nous pousse à tester de nouvelles essences forestières, notamment méditerranéennes, et à parfaire nos connaissances sur le sujet. La logique de conservation de la forêt a prévalu pendant des décennies. Aujourd’hui, l’évolution est trop rapide pour que les espèces s’adaptent naturellement et nous devons agir vite au regard du temps long forestier. Cela nécessite beaucoup d’efforts de la part des propriétaires.

AF : Face aux enjeux climatiques, nous savons que certaines essences sont condamnées, par exemple le sapin dans le Haut Diois. De fait, les techniques de sylviculture ont évolué : on enrichit désormais le peuplement en apportant des essences qui résistent mieux au changement climatique : pins, cèdres, feuillus… Notre rôle consiste à enlever les bois dépérissants et à replanter des nouvelles essences. La forêt drômoise aura donc forcément un autre visage dans le futur.

Pour aller plus loin : https://www.onf.fr/ et https://www.cnpf.fr/